LES FAMEUSES ROCHES DE PENMARC'H
Les rochers à Penmarc'h ? Il y en a partout...
Des petits, des gros, des énormes.
Dressés par les hommes dans les terres, subis par les hommes en mer...
Les gens d'ici étaient poètes... Ils ont donné toutes sortes de noms à LEURS roches, souvent des noms d'animaux, souvent des noms Bretons, car à l'époque le Français n'était pas trop pratiqué, sinon à l'école. Mais les estivants ont su leur donner des noms, comme les Oreilles de Lapin, le Rhinocéros, le Crocodile... sans se préoccuper de leur nom Breton.
Certains ont été traduits du Breton, comme la Chaise (ar Gador), la Jument (ar Gazek), l'île de la Croix (/Enez ar Groaz),... D'autres sont restés Bretons, comme ar Laérés (la Voleuse), Tal Ifern (le Seuil de l'Enfer), Men Laou (la Roche a Pou), Men ar Bleiz (la Roche du Loup)...
Un peu moins de poésie pour les Etocs qui signifient en Français "Roches proches de la côte et dangereuses pour la navigation" et appelés héloù en Breton. Une ligne de rochers dont chacun a son nom. Une ligne de tout temps portée sur les cartes. Une ligne terrible par tempête, qui a vu tant de naufrages et de tragédies : On ne compte plus les bateaux qui se sont fracassés sur eux alors que le havre de Kérity et la sauvegarde étaient à "portée de rame"...
On vient à Saint Guénolé juste pour voir la mer démontée et pour le petit frisson. A moins que ce ne soit pour le bon air et laver les derniers miasmes de la ville.
Le petit train Birinik fut pour beaucoup dans la promotion touristique locale. Ainsi Penmarc'h fut au début du XXème siècle une station balnéaire appréciée par les touristes. Peut-être appréciée un peu aussi pour "l'exotisme" de ses paysages et de ses habitants...
On y vient, on y vit pour trouver l'inspiration, comme le peintre-archéologue Paul Du Chatellier et son atelier qui était bâti juste au-dessus de la Roche Tragique.
Et plus tard le peintre Jean-Julien Lemordant qui le remplaça.
On vient y prier en scrutant la mer, y prier pour le retour de son mari, de son père, de son frère ou de son fils sur leur petite coque de noix ballottée par les flots...
On vient aussi y jouer et parfois y gagner quelque monnaie en faisant visiter les rochers à quelque Beau Monsieur ou Belle Dame.
LE ROCHER DES VICTIMES ou ROCHE TRAGIQUE
Penmarch. Le gouffre.Rochers de Saint Guénolé où furent enlevées les 5 victimes le 10 Octobre 1870 © Villard
Le 10 octobre 1870 vers 3 heures d'après-midi. Le temps est beau, la mer est calme par marée haute. M. Gustave-Léonard Pompon-Levainville, ancien préfet d'Empire du Finistère, était venu pique-niquer en famille sur le plus haut rocher de Saint Guénolé en compagnie de sa femme, Marie-Louise Antoinette Sydonie Bourdon âgée de trente et quelques années, leur fille Gabrielle Marie âgée de 13 ans, les neveu et nièce de Marie-Louise, Georges Desch et sa sœur, ainsi que Mme Bonnemain, préceptrice de Gabrielle.
Le drame survint alors que M. le préfet et Mme Dresch, sœur de Marie-Louise Levainville, s'entretenaient avec l'archéologue Paul Maufras du Chatellier dont l'entrepôt Kreis ar Mor (Au milieu de la mer) (1) où il stockait peinture et pièces archéologiques, jouxtait la plate-forme de roche (2) , lieu du pique-nique. Malgré les cris d'un enfant "An tarzh ! An tarzh !" (Une déferlante ! ) tous les convives furent emportés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire par une lame énorme, sortie de l'abîme Toul-an-Ifern (Trou de l'Enfer), sous les yeux de Paul du Chatellier, du préfet et de Mme Dresch, sa belle sœur. M. du Chatellier et les quelques témoins accourus, exhortèrent le Préfet épouvanté à ne pas porter secours aux malheureux, disparus dans les flots bouillonnants et ensanglantés : Il était trop tard…
Quelques jours après, les cadavres de Georges, Marie-Louise et de sa fille Gabrielle furent rejetés sur le rivage.
A l'endroit où périrent les membres de cette famille, une croix fut scellée dans la roche. Les journaux relatèrent amplement cette tragédie. Les complaintes de l'époque vendues dans les foires et pardons finirent par donner à la roche le nom de Rocher des Victimes ou Roche Tragique.
Mais l'histoire ne s'arrêta pas là. Au tragique s'ajouta le sordide de la cupidité : La famille Bourdon voulu recouvrir la part de l'héritage de leur fille Marie-Louise Bourdon-Levainville.
19 Août 1872. Le Tribunal civil de Quimper, après avoir visité la pointe de Penmarc'h, au lieu de Toul-an-Ifern, avait adapté la théorie de l'article 720 du Code Civil, qui établit un système de présomptions légales, tirées de l'âge et du sexe des victimes, et qui, dit la loi, en dehors d'autres preuves, servent à déterminer l'ordre présumé des décès. D'après cette théorie, la mère, âgée de trente et quelques années, est présumée avoir survécu à sa fille.
Gustave Levainville (photo ci-contre) fit appel de ce jugement.
Ce lamentable événement fit naître une question juridique que la première Chambre de la Cour de Rennes fut appelée à trancher. Il s'agissait de savoir laquelle, de Mme Levainville ou de sa fille, avait survécu à l'autre. Si, en effet, Mme Levainville avait succombé la première, elle avait transmis ses droits successoraux à sa fille, et celle-ci, à son tour, les avait transmis pour moitié à son père, M. Levainville. Si, au contraire, Mlle Levainville, mineure, avait péri avant sa mère, Mme Levainville succombant ensuite, avait transmis ses biens à ses héritiers légitimes, les époux Bourdon.
La Cour d'appel de Rennes, après plaidoiries de M° Le Guen, du barreau de Brest, de M° Grivart, du barreau de Rennes, de M° Juins Favre, du barreau de Paris, rendit son arrêt le 20 août 1873. Voici, en substance, ce que contient cet arrêt.
Lors du fatal événement du 10 octobre 1870, les victimes formaient deux groupes distincts, à quatre mètres l'un de l'autre, sur la plate-forme de la roche Tout an Ifern. Le premier, à l'extrémité nord-ouest du rocher, comprenait Mme Levainville, Georges Dresch et sa sœur, ces trois personnes étaient assises. Le second groupe était un peu en arrière, à 1 m.50 de l'autre côté du gouffre. Ce groupe était formé de Mlle Gabrielle Levainville et de Mlle Bonnemain. Ces cinq personnes regardaient la mer. La lame qui, tout à coup, bondit du fond du Trou de l'Enfer, retomba en masse sur le premier groupe qu'elle précipita dans l'abîme, puis cette lame se répandit sur le second groupe, sans le couvrir entièrement, et le balaya pour ainsi dire, l'entraînant avec elle. Ces faits avaient pour garants les témoins de l'enquête principalement M. du Chatellier, peintre de paysages maritimes, qui, debout à quelques mètres de là, avait vu toute la scène. L'état des cadavres rapportés par le flot permit, au reste, de contrôler les présomptions qu'apportait le récit des témoins. Le corps de Mme Levainville et celui de Georges Dresch, faisant partie du premier groupe, présentaient au côté droit des traces de blessures, de meurtrissures et d'érosion. Au contraire, Gabrielle Levainville, faisant partie du second groupe, avait été retrouvée couverte de ses vêtements les traits calmes et reposés, elle paraissait dormir.
Et voici la démonstration qui s'imposa à l'esprit des juges. Le premier groupe a été en quelque sorte écrasé sur la roche, puis précipité à la mer. Au contraire, les victimes du second groupe, que la vague n'avait pas totalement recouvertes, ont été jetées dans le gouffre en pleine possession de leurs forces. Elles ont dû survivre aux victimes du premier groupe.
En conséquence, la Cour réforma le jugement du Tribunal de Quimper, et déclara que Mme Levainville était morte la première, qu'elle avait transmis ses droits successoraux à sa fille Gabrielle, qui les avait transmis elle-même à ses héritiers légitimes.
La famille Bourdon fut donc déboutée de ses prétentions malgré un pourvoi en cassation qui confirma le jugement en appel (21 Avril 1874)
Marie-Antoinette Sydonie Levainville née Bourdon et sa fille Gabrielle Marie ont été inhumées au cimetière de Bénodet. Passé la porte d'entrée, l'imposant mausolée construit par l’architecte quimpérois Joseph Bigot en 1871, est visible sur la droite.
Gustave Levainville vécu dans la propriété familiale édifiée au Menez Frost (Colline inculte, pelée), en haut du bourg de Bénodet, qu'il fit construire par Joseph Bigot entre 1872 et 1875 . Le « chateau » Levainville, comme il fut appelé, est de nos jours devenu l'Hôtel Menez-Frost.
Gustave Ponpon-Levainville décède à Paris (XVIème) le 22 décembre 1894.