Épingles De Pardon - Spilhennoù Pardon

Depuis le début du XIXe siècle, les élégantes du Pays Pagan (Nord-Finistére) et de Cornouaille, principalement du Pays Bigouden, portaient, fixées sur leurs corsages, des épingles de pardon achetées lors d'assemblées religieuses : Ar spilhenn Pardon (Epingle de pardon) ou spilhenn bodadeg (Epingle d'assemblée). 

Le Pardon est une festivité religieuse locale destinée à honorer un Saint ou une Sainte associés à une église ou une chapelle. Partie importante du pardon, une procession est organisée, au cours de laquelle chants et prières concourent à l'expiation des péchés commis dans l'année passée par les pénitents.
La présence de camelots, de restaurateurs, débits de boissons et d'attractions foraines aux abords des édifices religieux donne aussi une dimension profane à l'assemblée.

Ces pardons étaient donc propices à faire la fête : Danses , manèges, réunions familiales... Ainsi, tous les jeunes hommes et les jeunes filles du village et des alentours étaient réunis en un même lieu, propice aux idylles et aux déclarations.


Quelques dates de Pardons locaux parmi les quelques 1200 Pardons Bretons : 

Le Pardon de la Madeleine, Dimanche au plus proche de la Sainte Marie-Madeleine (22 Juillet)
Le Pardon de St Nona, premier Dimanche de Juillet
Le Pardon de Saint Marc, le Dimanche qui suit le 25 Avril
Le Pardon de Sainte Thumette, le 8 Mai (Férié) 
Le Pardon de N.-D. de la Joie, le 15 Août (Férié)
Le Pardon de Saint Pierre ou Pardon des Petits Enfants, Dimanche au plus proche de la Saint Pierre (29 Juin)
Le Pardon de Saint Guénolé, début Mars, Dimanche au plus proche de la Saint Guénolé (3 Mars)
Le Pardon de Tronoën, le 3ème Dimanche de Septembre


Localisation de la Cornouaille et du Pays Pagan  © Portail GéoBreizh

Histoire du Spilhenn Pardon

Dans les années 1800, la bague de fiançailles n'existait pas encore...
Mais il fallait pourtant bien déclarer sa flamme !

Alors, après la messe de Pardon, les jeunes hommes courraient vers les boutiques des marchands ambulants* afin de leur acheter les fameuses épingles qu'ils désiraient offrir à leurs belles. 


(*) Marchands ambulants ou colporteurs, localement appelés Termagis, un surnom dérivé de «Lanterne magique», ancêtre, si l'on peut dire, du cinématographe et dont nombre de ces colporteurs faisaient représentation dans les villages, pendant les foires et les Pardons.


Les boutiques de colporteurs autour de la Chapelle de Tronoën
© Neurdein

Les boutiques de colporteurs autour de la Chapelle de Tronoën
© Neurdein

Ils devaient faire selon leurs moyens tout en gardant leur rang. Si la femme de leurs rêve était très courtisée, il fallait savoir casser sa tirelire pour avoir un espoir, même si ce n'était pas forcément obligatoire (Une Bigoudène sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas). Le nombre de pendeloques dépendait donc de la fortune du gars et aussi de sa motivation. Ainsi celui qui avait peu de sous en prenait une toute simple sans pendeloque (la honte un peu sur lui), l'autre qui en avait un peu plus, en prenait une avec une pendeloque, et les jeunes hommes peu fortunés mais très amoureux ainsi que les fils de propriétaires paysans ou de maîtres de barques pouvaient aller jusqu'à deux...

Épingle sans pandeloque

Épingle à une pandeloque
Épingle à deux pandeloques

Ensuite le jeune homme l'offrait à la jeune fille avec laquelle il voulait se marier.

De retour à la maison, les parents évaluaient la motivation du prétendant à la beauté de l'épingle qui, ajoutée à la réputation et aux biens du jeune homme et de sa famille, pouvaient valider ou non le choix des parents de la courtisée. Alors que dans le monde paysan patriarcal le mariage pouvait être l'occasion à alliances et spéculations sur de nouvelles terres, le monde maritime plutôt matriarcal était moins porté sur ces calculs et plus ouvert à tenir compte de l'avis des jeunes courtisées.

Si, à la messe du dimanche d'après, la jeune fille portait son épingle ostensiblement à gauche sur son costume et au regard de tous, le jeune homme savait qu'elle était prête à devenir sa fiancée et peut-être son épouse...

Les parents des deux amoureux de retrouvaient à la sortie de messe pour causer de l'organisation du mariage... pendant que les deux tourtereaux s'éclipsaient discrètement.

Sinon, elle gardait son épingle...et la portait à droite, signifiant que bien qu'ayant été courtisée, elle était encore libre...


Les épingles de la Bigoudène © Villard

Les épingles de la Bigoudène © Villard

Tableau de chasse ! © Laurent


Origines du Spilhenn Pardon

On suppose que les épingles de pardon étaient assemblées avec des perles en verre soufflé de Bohème exportées dans des ateliers Maghrébins. En atteste le nombre particulièrement important d'épingles de pardon comportant des breloques d'inspiration Musulmane tels que croissants de lune et étoiles. Les coupelles filigranées et ouvragées de style « bijouterie Arabe » utilisées pour mettre en valeur les perles nous confortent dans cette hypothèse. 

Ces épingles étaient ensuite achetées et importées en Bretagne par les Termajis.


Circuit probable, depuis la Bohème vers la Bretagne via le Maghreb

Le Bijou

Ce bijou était composé d'une épingle 10 à 12cm, à tête plate ou boule. Cette épingle était affublée d'une perle de verre de Bohème de 14 à 16mm, ou d'une perle de culture ou d'une boule en argent travaillé, enserrée ou non par deux coupelles-calottes. Cette épingle perlée était agrémentée de pendeloques terminées par des breloques (Étoiles, croissants de lune, piécettes de monnaie...). Des pendeloques dont le nombre se situait entre un et trois et qui étaient elles aussi faites d'un assemblage 3 à 5 groupes de 2 à 3 perles en verre de Bohème ou de perles naturelles enserrées ou non par des coupelles-calottes. Soit un assemblage pouvant compter jusqu'à 42 perles (typiquement 26), accompagné d'une grosse perle.

Les différents composants des épingles de Pardon.


Les assemblages de couleurs de ces épingles étaient très variés et pouvaient être assortis aux costumes de celles qui les portaient, costumes aux motifs brodés et parfois perlés. 

Le Déclin

La fin de la Grande Guerre (1914-1918) a été le signal du début de la décroissance des traditions Bretonnes. Les soldats sont revenus du front habillés en Giz Ker (costume de ville), plus imprégnés de culture Française, plus influencés par la modernité.


L'épingle de pardon a laissé la place à la bague de fiançailles, à mesure que le costume rigide et dispendieux était remplacé par des vêtements plus pratiques et seyants.

A l'inverse des épingles vendues par les colporteurs, les épingles vendues en magasin après la Grande Guerre ont été présentées dans des boites et ce jusqu'en 1950, année où elles ont cessé d'être proposées à la vente. Il semble qu'elles étaient alors assemblées en région Parisienne voire en Bohème. En attestent les breloques plus fantaisistes, tels grelots, cœurs, fleurs et feuilles, croix chrétiennes, triskels à gogo, etc...




La boîte et son spilhenn étaient accompagnées d'un texte en Breton traduit en Français (à moins que ce ne fut l'inverse...)


Les hommes commencent à délaisser le costume
« mod coz » au profit du costume de ville

Boîte Le Minor


Étiquette boîte Le Minor

Un des textes Le Minor

Quelques exemples d'Épingles