La Gwerz Penmarc'h

La «Gwerz Penmarc'h» ou «GwerzFlod Gwaien» (Gwerz de la flotte d’Audierne) est apparue au moyen âge à la suite du naufrage dramatique d'un convoi commercial maritime Audiernais drossé contre les Étocs de Penmarc'h.

Qu'est-ce qu'une «Gwerz» ?

Une «Gwerz» est un récit versifié Breton, racontant une histoire. Situées entre complaintes et ballades, les gwerzioù racontent des histoires principalement tristes, tragiques, relatant des évènements locaux ayant marqué une population. Composée à l'époque des faits, transmise par tradition orale, presque toujours chantée, elle traverse les âges sans trop d'altérations quant aux dates, lieux, personnages et faits. Même si parfois dramatisée, elle est, malgré tout, très utile aux chercheurs et historiens.

La «Gwerz Penmarc'h»

Les paroles de cette version de la «Gwerz Penmarc'h» ont été collectées par Donatien LAURENT du Centre de Recherche Bretonne et Celtique à l'Université de Bretagne Occidentale.

Brezhoneg (Breton)

1. Breman bloa da foer santez Katell
Sortias ar flod deuz ster Bourdel,
Sortias ar flod deuz ster Bourdel.

2. Ha pa voe var ar rad mouilhet
Na voe banne avel ebet,

3 Ha kaer a doe naviged
Avel avoalc'h ne gavent ket.

4 Pa voent erru var tal Penmarc'h,
Int a doe kavet avel avoalc'h.

5 Goulou var dreon, goulou var rôk
Int a zonje deu be' kreiz ar flod

6 Kouraj, kouraj, bugaligou
Da vont'benn d'an avel d'ar C'helou

7 Ma yim benn'n avel d'ar C'helou
Nin' vo kaet e Penmarc'h en aochou

8 Petra c'hoarvez gant Penmarkiz
O terhel goulou'n noz' n o iliz ?

9 Krest a galon neb na ouélé
Val dal Penmarc'h neb na vezé

10 E vel' ar mour bras o virvi
Gant ar vartoloded e vuizi

11 E vel'ar mour bras o ruiañ
Gant gwed ar gristenien'n ennañ ...

12 Piou'gaso kelou da Voaien
Eo kollet ar flod nemed unan ?

13 Piou fell doc'h nem' eur chas-maré,
Nemed eur chas-maré na rafe

14 Eur chas-maré e Porz Louizou
Hag a zonjfe touffi ar c'helou ..

15 Oe ket e gomz peurlavaret
Gant eun taol mour a neus int buezet

16 Nin a vele merc'hed Goaien
E tont en aod vras gant licheriou moan

17 Kant intanvez deuz bae Goaien
A gasas ganto kant licher venn

18 Int a c'houlas an eil d'eben :
Na peus ket gwelet korf ma den ?

19 Penôs mi gwelet korf ho ten
Pa man e tibi gant kranked melen

20 Krest a galon neb na oele
E korn an Dorchen neb na veze

21 Vel'ar c'horviou maro e tont
Ive da Benhors ha d'ar Gador

22 E Plozeved er parkou' maint
Goueliou lian er flod o sec' han

23 Red eo binnigi ar parkou
E-vit douari ar horviou

24 Ha 'n aoc'hig Dreo ' zo eun den mad
Neus sternet e gar d'o charreat

25 Evit o kas da zaou da dri
Da vered Sant Per da interi

26 Malloz, malloz da Benmarkiz
Hag a zalc'h goulou noz'n o iliz !

27 Da Benmarkis, da Blozevet
Ivez da Benhorz ha d'an Dreded !

28 A zalc'h goulou ' n o ilizou
Vit ma yal d'an aod batimañchou

29 Tudou Penmarc'h ' zo tud daonet
Birviken mi gant Doué vefint pardonet !

Traduction Française (Galleg)

1. Il y a eu un an à la foire de Ste Catherine
Que la flotte sortit de la rivière de Bordeaux,
Que la flotte sortit de la rivière de Bordeaux,

2. Et quand elle était mouillée sur la rade,
Il n'y avait pas le moindre vent,

3. Et elle avait beau naviguer,
Ils ne trouvaient pas assez de vent

4. Quand ils furent arrivés près de Penmarc'h
Ils trouvèrent assez de vent.

5. Des feux à l'arrière, des feux à l'avant,
Ils pensaient être au milieu de la flotte

6. Courage, courage, les enfants,
Pour aller droit sur les Etocs.

7. Si nous allons droit aux Etocs,
On nous trouvera à Penmarc'h sur les grèves.

8. Qu'arrive-t-il aux gens de Penmarc'h
Qu'ils maintiennent des feux la nuit dans leur église ?

9. Chrétien de cœur qui n'eut pleuré
Et eut été près de Penmarc'h

10. En voyant la mer bouillonner,
A cause des matelots qui se noyaient.

11. En voyant la mer devenir toute rouge,
Du sang des chrétiens qui s'y trouvaient ...

12. Qui portera la nouvelle à Audierne,
Que la flotte est perdue sauf un ?

13. Qui voulez vous d'autre qu'un chasse-marée,
Que ce soit d'autre qu'un chasse-marée?

14. Un chasse-marée de Port Louis
Qui pensait étouffer la nouvelle ...

15. Et il n'avait pas achevé sa parole,
Qu'un coup de mer les a engloutis.

16. Nous voyions les femmes d'Audierne
Qui venaient à la grande grève avec des draps fins.

17. Cent veuves de la baie d'Audierne
Emportèrent avec elles cent draps blancs.

16. Elles se demandaient l'une à l'autre :
N'avez vous pas vu le corps de mon homme?

19. Comment aurais-je vu le corps de votre homme
Puisque les crabes jaunes sont en train de le manger

20. Chrétien de coeur qui n'eut pleuré
Et eut été au coin de la Torche

21. En voyant les corps des noyés venir
À Penhors et à la Chaise

22. Ils sont à Plozévet dans les champs
Et les voiles de toile sur la mer à sécher

23. Il faut que l'on bénisse les champs
Pour enterrer les corps

24. Le père Dréo est un homme bon
Il a attelé sa charrette pour les transporter

25. Pour les amener par deux, par trois,
Au cimetière de Saint Pierre pour être enterrés

26. Malédiction, malédiction sur les gens de Penmarc'h
Qui gardent des feux la nuit dans leur église !

27. Aux gens de Penmarc'h et de Plozévet,
A ceux de Penhors et de la Trinité !

28. Qui gardent des feux dans leurs églises
Pour que les navires aillent à la côte

29. Les gens de Penmarc'h sont tous damnés
Jamais plus Dieu ne leur pardonnera !

Que raconte cette «Gwerz» ?

À la Sainte Catherine, une flotte Audiernaise quitte la rivière de Bordeaux (Strophe 1)
La flotte mouille dans la rade car le vent n'est pas au rendez-vous. (S2)
Après quelques jours de navigation sans vent (S3)
La flotte croise enfin, de nuit, le large de Penmarc'h (S4)
Le bateau éclaireur, avec ses feux à l'arrière, ses feux à l'avant, guide la flotte qui se croit en sécurité. (S5)

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Mais les feux qui brillent dans la nuit ne sont plus ceux du bateau guide mais ceux allumés dans les clochers des Églises de Penmarc'h (S8)

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Toute les marins meurent noyés, toute la flotte sombre, à l'exception d'un navire (S12)

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C'est un chasse-marée de Port-Louis.(S14)

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Prévenues, cent veuves vinrent d'Audierne pour enterrer leurs morts (S17)

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Nombre de noyés sont enterrés dans le cimetière de Saint Pierre par le Père Dréau, un homme bon.(S24-25)
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Une malédiction est clairement proférée par les Audiernais contre les habitants de Penmarc'h, Plozévet, Penhors, la Trinité* qui gardent des feux dans leurs églises pour que les navires aillent à la côte (S26 à 29)

(*) La Trinité est un village situé près de Plozévet.

Les lignes commerciales au moyen âge

C'est donc un convoi de navires marchands d'Audierne qui fit naufrage sur la barre des Étocs de Kérity en Penmarc'h.

Les principaux ports côtiers du sud Finistère étaient en concurence directe dans le commerce de la guède du Lauragais, des vins du sud-ouest Bordelais ainsi que du sel et des vins Bretons du pays Nantais. Le trafic était organisé par des capitaines de barques, qui étaient aussi armateurs et commerçants : Ils achetaient et transportaient ces marchandises qu'ils commercialisaient pour leur propre compte, dans les ports d'Europe du nord, tels Cologne, Lübeck, Hambourg, Bruges. Le retour de ces ports s'effectuait les cales pleines de marchandises produites par les industries locales des pays nordiques, afin d'être revendues dans les ports de France et de Bretagne.

À cette époque, les routes maritimes étaient peu sûres, tant au niveau piraterie qu'au niveau climatique. Ainsi, les bateaux marchands se regroupaient en convois pour prendre la mer et suspendaient leurs activités en hiver, période tempêtueuse.

Ces lignes commerciales étaient très concurentielles et attisaient un très fort antagonisme (voire plus !) entre les marins des ports Finistériens, particulièrement ceux d'Audierne et de Kérity en Penmarc'h...

Quand a eu lieu le naufrage ?

Comme dans beaucoup de gwerz, la date des évènements n'est pas ou peu précisément indiquée. La gwerz a été créée moins d'un an après la naufrage. La Sainte Catherine étant le 25 novembre, on peu penser que, du fait du manque de vent, la flotte  Audiernaise au départ de Bordeaux, arrive aux abords de Penmarc'h dans la première moitié de décembre. Ce qui n'est pas la meilleure période pour la navigation.

Préciser l'année est plus hazardeux, plus compliqué. L'activité commerciale du port d'Audierne s'est étalée du début du XIVe siècle au XVIIe siècle. Cette activité est interrompue par la guerre de 100 ans car les Anglais règnent sur mer et s'emparent des convois Bretons. Donatien Laurent, musicologue,éthnologue et linguiste français s'accorde à dire que ce naufrage a fort probablement eu lieu dans la seconde moitié du XVe siècle.


Quels types de navires ?


À la fin du XVème siècle, les«Caravelles» Portugaises abandonnent leurs voiles latines pour des voiles carrées plus manœuvrables et un gréement modifié. La coque à bordage à clins (bordés superposés) est remplacée par une coque à bordage à franc-bords (bordés fixés bord à bord et calfatés). Ces«caravelles» améliorées prennent le nom de «carvelles» (du néerlandais «karveel»), plus adaptées au gros temps de l'Océan Atlantique et aux mers froides de l'Europe du Nord. Ces «carvelles» sont pontées, plus ventrues et plus imposantes que les«caravelles». Leur tirant d'eau est semblable à celui des «caravelles» mais beaucoup faible que celui des «Caraques», super-cargos de l'époque. Un faible tirant d'eau qui facilite l'accès aux ports d'échouage, les plus courants au moyen-âge, comme celui de Kérity. Menées par des équipages d'une vingtaine de marins, elles jaugent environ 60 à 70 tonneaux et transportent principalement des marchandises.

Quelle est la composition du convoi ?

La composition du convoi n'est pas mentionnée. On peut cependant l'approximer en se référant au nombre de veuves indiqué dans la gwerz, soit 100 à 147 suivant les versions.
Une estimation grossière nous amène à penser que quinze marins sur les vingt hommes qui composaient un équipage, sont mariés. Soit, pour environ 150 veuves, une dizaine de bateaux. Six ou sept bateaux dans le cas de 100 veuves.


Quelles sont les causes du naufrage ?

En lisant cette gwerz, il est clair que ce naufrage a eu pour origine la conjugaison d'une tempête et d'une erreur de navigation (ou de jugement) :

Il semble que ce convoi était mené par un bateau pilote, de Port Louis. On le désigne comme étant un chasse-marée* .
Selon la gwerz, le convoi suivait les feux du bateau pilote. Dans la tempête, les bateaux de tête ont du perdre de vue les fanneaux du bateau pilote et se sont tournés vers d'autres feux. Fatale confusion, car à l'époque, il était courant que les villageois allument la nuit des feux sur les églises, afin d'indiquer la proximité des côtes et éviter les échouages et les naufrages. En se dirigeant vers ces feux, vers la terre, le convoi traversa le petit archipel des Étocs contre lequel il se fracassa. Aucun bateau ne s'en tira, à l'exception d'un, «Ar maout gwenn» (le mouton blanc). Etait-ce lui le chasse-marée ?

(*) Les chasses-marées étaient, en Bretagne, des chaloupes de pêche gréées en lougres, très rapides, qui servaient à amener la sardine sitôt pêchée, des lieux de pêche aux grands ports. Un gage de fraîcheur maximale. Les chasse-marées apparaissent au début du XVIIIe siècle, ce qui nous incline à penser que cette précision n'est pas d'origine, mais a été ajoutée au fil du temps, après le XVIIe siècle.

Carte de la côte de Penmarc'h

Pourquoi cette «Gwerz» ?

Ces lignes commerciales étaient donc très concurentielles et attisaient un très fort antagonisme entre les marins d'Audierne et ceux de Penmarc'h...

Avec ce naufrage, le destin apportait aux Audiernais une occasion providentielle de villipender les Penmarchais, de les accuser de tous les maux et de les maudire.

De quoi y accuse-t-on les Penmarchais ? D'être des naufrageurs et des criminels.

En vérité, accuser les Penmarchais de naufrageurs n'est pas fondé. Un naufrageur provoque des naufrages par différents stratagèmes, notamment par des feux allumés loin dans les terres, afin d'amener à la côte des bateaux imprudents et leurs équipages, et de les piller.

Ce n'est pas du tout le cas des Penmarchais, qui, à l'instar de tous les villages de la baie d'Audierne (Plozévet, Penhors, la Trinité, etc), étaient des pilleurs d'épaves, des opportunistes, profitant de ce que la mer leur offrait : La fortune de mer. Mais, bon Chrétiens, ils allumaient des feux dans les clochers des églises, pour indiquer aux bateaux la proximité de la côte et leur éviter le naufrage. Au risque pour eux de perdre quelqu'aubaine.

Un pilleur d'épave de Penmarc'h vers 1900 © Villard

Le feux des naufrageurs pour inciter les bateaux à s'échouer, les feux des habitants pour aider les bateaux à se localiser et à ne pas aller à la côte. Deux attitudes très différentes. Une accusation motivée par la haine et la rancœur.


Les Audiernais terminent par «Les gens de Penmarc'h sont tous damnés, jamais plus Dieu ne leur pardonnera.». Tout est dit.


La Gwerz Penmarc'h par le chant


Chant de Pierre Le Run au chant et contre-chants de Hervé et Yann Cudennec (2017)

https://www.youtube.com/watch?v=NtHsrsb-PQs&ab_channel=HervéCudennec

Chant de Nicole Pochic-Quenet qui interprête ici la version exposée plus haut, qu'elle tient de sa grand’mère, Anna Loussouarn (1992)                       
Gwerz Penmarc'h par Nicole Pochic